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Mes carnets
25 janvier 2007

6 septembre 1972

Elle se tient, avec d'autres élèves, devant la porte du local 2**.
Lettres noires peintes au pochoir sur une porte orange. Les couloirs sentent le neuf. Le plâtrage neuf, les plaques de gyproc enduites. Les vitres sont claires, le carrelage impeccable, le tubulaire, froid.

Et les filles colorées, mordorées par l'été qui fut ensoleillé, un bel été vraiment.
Il y a Mu, l'ado au châle noir, serré contre son corps maigre, en jeans effrangé et coiffée d'une capeline au crochet. De longs cheveux blonds, des boucles d'oreilles, un air très sûr d'elle.
Il y a Pat, une bonne ronde à la voix douce et au regard mélancolique. Toutes deux laissent entrevoir des paquets de clopes dans leur sacoche en plastique ou en crochet. Filles de parents divorcés. C'est rare, à l'époque! Ou cela se sait peu.
Mais parfois, elles en parlent, surtout quand il y a eu un remariage.
Il y a la magnifique Marie-Reine, longue, silencieuse, aux immenses yeux verts, avec son inséparable Adi, petit bouledogue à la chevelure noire bouclée. Il y a tant de filles qu'elle ne connaît pas encore, à peine sorties de l'enfance, avec un visage parfois brouillé, parfois lisse, innocent.
Il y a la princesse Pia, qui arbore une médaille protestante, et puis, le groupe des "premières de classe".
Voguant sur les eaux céruléennes de leur Destinée.

Et puis, la sonnerie retentit. Arrêtons-là nomenclature et observation de mes nouvelles copines, le prof va arriver. Machinalement, j'ai tourné la tête vers le couloir. Et voilà qu'une très jeune femme s'élance vers nous.

Dans la lumière de ce matin de septembre, elle m'est apparue, fabuleusement jeune - on dirait à peine notre ainée, habillée d'une petite veste vert clair, d'un jeans noir, avec un cartable fatigué. Cheveux courts, de chaque côté du visage, un visage très aigu - ce qui lui confère cet air de grande jeunesse, un visage illuminé de deux yeux immenses d'un vert indescriptible. Est-ce le vert des feuillages au printemps? Des plantes humides des marais ? On y perdrait son latin. Cette jeune femme - dont je me demande vraiment si elle est notre prof, marche d'un pas rapide et élastique, se dirige vers la porte, introduit la clef, ouvre, nous fait entrer, va s'asseoir à son bureau...

Devant le tableau. Raclements de chaises, de bancs, c'est la première vraie journée de cours de la rentrée. Sans doute fait-elle circuler le traditionnnel quart de feuille où l'on va mettre son nom, son ancienne classe - et, pour les nouvelles, dont je fais partie, l'école dont on vient - ce qui me vaut chaque fois des remarques ironiques ou un silence glacé. Je suis la transfuge de l'athénée de U***, et l'athénée ne semble pas avoir très bonne réputation. Ca tombe bien, je la détestais cette école, moi aussi...

Moins le copain Pascal, qui fut un bon copain pendant un tout petit trimestre, et moins mon prof de latin, qui a réalisé le prodige de faire travailler une classe fainéante, frondeuse et chahuteuse - sans jamais élever la voix.

Notre jeune Mademoiselle - car c'est une demoiselle, n'élève pas la voix non plus. Elle parle calmement, fait l'appel, très vite, nous appelle par nos noms et prénoms - et puis, parfois, pour certaines, elle ne prononcera que les prénoms.

C'est ma prof de français. J'me souviens pas vraiment de ce qu'on a étudié au début de l'année - comme texte, oui, il y a eu "Le héron". Toujours ce vieil ennemi La Fontaine! "Moi héron! Que je fasse une aussi pauvre chère!"
En littérature fantastique, "La peau de chagrin", et en théâtre, "Le Bourgeois gentilhomme".
Il y aura mille et une phrases personnelles, mille et une lignes de la littérature, de la poésie françaises, des images échappées de "La Bâtarde", et un cours de grammaire, assez approfondi, également très ludique, à mes yeux...

Quel nom lui donner ? Je ne veux pas l'appeler par son vrai nom. Je devrais lui trouver un pseudo. On l'appelle comme tous nos profs, par son nom de famille. Tant pis, elle sera "L" ou "Elle". Elle, dans sa voiture française, couleur bouteille, dont j'aurais voulu, un temps, trouver une miniature, quelque part, n'importe où...

***

Est-ce que j'ai jamais parlé d'elle, dans mon journal ? Elle est le contraire absolu de ma demoiselle Monique, mon institutrice de troisième primaire.

A 14 ans et demi, j'étais bien trop jeune pour faire une disciple. Elle était pourtant un maître. En entrant à l'école, cette année-là, j'étais encore une gamine hésitant entre des futilités, le goût de la provocation et la passion, le désir d'apprendre. Quel tiraillement ! J'étais distraite, parfois évaporée, mais j'avais déjà le goût d'écrire... Elle l'a vu, l'a remarqué, en a "parlé". Elle est la première à l'avoir vraiment fait. A m'avoir exhortée au travail avec la manière qu'il fallait. Et elle est sans doute un des premiers "profs" que j'ai vraiment écoutée.

C'est une phrase très romantique, mais profondément vraie : je lui dois d'être devenue celle que je suis. Elle s'en défendrait certainement, et elle aurait raison, en partie... Mais elle aurait tort, aussi. Je pense qu'elle a exercé un ascendant profond sur des générations d'élèves. Même sur ceux et celles qu'elle taquinait de façon parfois ironique ou cruelle (personne n'est parfait) - et qui ne l'en adoraient pas moins.

C'était une femme réellement exceptionnelle.

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Commentaires
F
1972 oui ça ne nous rajeunit pas tout cela, quatre ans dèjà que j'avais quitté la maison familiale pour me lancer dans la vie avec l'espoir de la réussir ^^ Ajourd'hui je ne sais toujours pas si c réussit ou pas :)<br /> <br /> petit passage par chez TG info ou temps car chez Suzanne je ne sais jamais trop sur lequel de ces blogs je me trouve ^^
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