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Mes carnets
20 septembre 2006

"Fuir, là-bas, fuir!"

Voici un texte que j'ai envoyé à MELIE, (Les enfants rouges), pour répondre à son invitation à écrire sur une rencontre avec un psychiatre... Ou des psychiatres... Dans un cabinet, un hôpital, ou un service d'urgences.

SSCR_ambulance

"Ca y est.
Après un parcours hallucinant, hallucinatoire et hallucinogène, l’ambulance m’a crachée à la porte des urgences.
Un des grands hôpitaux universitaires de la métropole.
Je commence à bien le connaître, cet hosto.
C’est une ville.
Avec ses boutiques, ses fleuristes, son terminal bancaire, ses bureaux, ses ascenseurs, sa galerie marchande et les amphis de médecine. Et des thés succulents, dans les tea-rooms hantés par des personnages en tenue vert-de-chirurgie.

Bien qu’avec les 20 mg d’alprazolam que j’ai avalés ce soir, je ne sois pas en état d’apprécier…

J’ai sans doute dû suivre un ruban rouge, au sol, ou orange ou gris… (comme celui qui conduit à la salle des IRM, mais s’interrompt devant une porte marquée INTERDIT, pour reprendre après un coude…
J’évite de justesse le couloir qui mène à la morgue (comment ai-je fait pour aller jusque là?)

Et je m’écroule dans un box, après m’être présentée à l’accueil.
Mes jambes, mes bras dépassent, le papier se chiffonne, je me cramponne à mes oreillers, j’ai peur de tomber, ces lits-civières sont tellement étroits…
Et là, je m’endors.
Je dors.
Je dors encore.
Des infirmières ont dû prendre pouls, tension, faire une prise de sang. Classique. Me rappelle rien.
Une psychiatre est arrivée.
La langue râpeuse, j’ai essayé de me concentrer, de sortir de ma torpeur, de répondre à ses questions. J’avais l’impression de questions insistantes. C’était sans doute ma difficulté à répondre, à intégrer ces questions, elle devait répéter, et répéter encore…
Je me souviens juste du
“Il n’y a pas de place”.
Variante. “Nous n’avons pas de place, tout est complet”.
Variante encore. “Est-ce que vous entendez des voix?”

Des voix?
Voilà qui me laisse perplexe.
Pourquoi me demandent-ils tous si j’entends des voix?
Et si j’en entendais, et si je disais que je n’en entends pas?
Après tout, je pourrais tromper mon monde.
Puisque je sais que dans certains cas, on entend effectivement des voix.
Mais non, je n’entends pas de voix.
J’ai déjà bien assez avec mes pensées et ce cerveau sans cesse en ébullition,
cette sensibilité à fleur de peau, cette mémoire trop précise, je n’ai pas besoin de voix…
En supplément.
Rien à voir avec Jeanne d’Arc, qui était peut-être migraineuse d’ailleurs.
Quand j’ai la migraine, là, le bruit et la lumière font mal.
Mais rien d’intéressant.
Non, décidément, je n’entends pas de voix.

“On n’a pas de place, mais on va vous garder cette nuit.”
Ah bon ? Je ne sais même pas l’heure qu’il est.
On m’a conduite dans une chambre à deux lits, donné un calmant
(un jaune, je parierais bien pour du Témesta), et j’ai dormi.

Le lendemain, on m’a apporté mon petit déjeuner.
Puis un gant de toilette en papier.
Une infirmière m’a dit “tenez, ça c’est pour vous laver”.
Je me suis lavée.
Le ballet des infirmières et médecins de garde a recommencé à danser, mais autour du lit de ma voisine.
J’ai entendu “ponction lombaire”.
Aïe, ma voisine a dû souffrir.
Je n’ai plus vu personne…

Et quoi, on ne s’occupe pas de moi ici ?
Dans le couloir, un bruit de voix…
De vraies voix, celles des infirmières qui ne pensent peut-être pas qu’une hospitalisée les écoute:
“Et madame Untel?” (Madame Untel, c’est moi).
“Ah, celle-là on la transfère à Sainte Rolande…”

A Sainte Rolande? Zut alors. C’est là que ma grand-tante est morte.
Je ne veux pas aller à Sainte Rolande. Puisque c’est comme ça, je vais partir.
Une idée lumineuse (et saugrenue) me traverse: j’ai besoin de vacances, et je n’ai pas envie de payer un hôpital supplémentaire.
Zut. Je vais partir en Provence, et prendre le tgv.

Je me suis rhabillée, j’ai embarqué le second gant de toilette en papier et des mouchoirs, et très calmement, bien que vacillante, je suis partie.
Je n’ai croisé personne, et donc, personne ne m’a rien demandé.

Quand ma famille a téléphoné à l’hosto pour avoir de mes nouvelles, on leur a répondu…
“Ah, elle doit être transférée à Sainte Rolande… Elle n’est pas dans sa chambre, elle va revenir”.
A Sainte-Rolande, on ne m’avait ni vue ni entendue (et pour cause).

Voilà comment le service des urgences d’un grand hôpital de la capitale a perdu ma trace…

L’ennui, c’est que je ne vais plus oser y mettre le petit bout des pieds…

Mais j’ai tout de même arrêté de prendre de l’alprazolam…"

*****

ps. Toute ressemblance avec des faits, des institutions ou des personnages réels....

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Commentaires
N
Un récit sobre, prenant, et vrai...<br /> Si mon conseil, déjà un peu ancien, de prendre le TGV puis la navette Sncf pour aller à Arles, une de tes villes préférées, a joué un petit rôle dans ton "minitrip" dans cette ville, j'en serai très heureux...
P
excellent :)<br /> <br /> on hésite entre humour et terreur devant la froideur de ce lieu...<br /> <br /> du coup je pensais à une phrase célèbre de Dali, que tu connais sûrement...<br /> <br /> "La différence entre moi et un fou, c'est que moi, je ne suis pas fou !"
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