La chute
Naturellement, ma préoccupation essentielle reste la dépression.
Ou plutôt, la guérison.
Comme si "guérison" était l'antonyme du mot "dépression". La dépression, cette chute, cette descente aux enfers. On se demande toujours quand on a atteint le point culminant. Et surtout, quand on va - enfin! - en guérir.
Et puis, quand on y est, à ce point le plus bas, est-ce que la dépression, c'est de s'y noyer un jour, deux jours, trois jours ? Une semaine? Quitte à remonter après ? Ou de s'y enfoncer encore davantage ?
Beaucoup d'événements -parfois mineurs- m'y ramènent. Je rentre chez moi, une petite fille, un gosse, même pas sept ans, qui joue sur une terrasse, près d'un café, jette une branche par terre, presque sous mes pas. Je me dis d'abord que la perversité n'a pas d'âge, et je soupire. Et puis je songe à cette soirée où j'ai défenestré quelques objets... Et je ne veux pas trop me rappeler quand j'ai commencé à défenestrer des objets. Quand la violence a commencé à me miner, en prenant possession de moi?
Et puis, pourquoi me suis-je laissée atteindre, aussi, par la violence?
Pourquoi je n'arrive pas toujours à mettre une barrière? C'est ce que j'apprends. C'est ce que je dois apprendre. Si je veux vivre heureuse. Ou vivre, tout court. Et puis, j'apprends à me connaître, ou du moins, à m'accepter. Il y a des choses de soi qu'on n'accepte pas toujours. On veut éternellement se donner le beau rôle; endosser le moins vilain rôle possible... Et pourtant !
Il y a bientôt trois ans, je croyais que je l'avais atteint, ce point culminant ! En fait, tant que je restais dépendante des médicaments, il était sûr et certain que je n'étais pas guérie. Tant que je ne pouvais vivre sans ma béquille pharmaceutique, je ne pouvais pas remonter à la surface. Il m'a fallu ce sevrage brutal, obligé, parce qu'il ne restait aucun médicament dans la maison, pour avancer, un jour après l'autre, heure par heure. Des heures où je restais cramponnée à mon oreiller. Sans dormir. Des heures où je laissais les muscles lancer leurs mouvements désordonnés. Tant pis.
Des heures où j'ai pleuré aussi, de mal. Avec pour seul médicament, du simple paracétamol ou de la bonne vieille aspirine. Parce que les benzo- finalement, masquaient bien l'état général de douleur physique dans lequel je me trouve. En règle générale, je prenais l'alprazo- pour arriver à vivre au quotidien, malgré les douleurs de nuque consécutives à l'opération de la hernie discale cervicale. Le brufen, un anti-douleur canon et l'alprazo, et j'arrivais à vivre plus ou moins normalement. Plus ou moins. Bien entendu, je n'arrivais pas à travailler - je ne savais déjà pas me lever ! J'avais beau mettre mon réveil à 7 heures, j'avais trop mal, j'avais trop sommeil. C'était terrible. Et cette fatigue, incommensurable... Cet ensommeillement permanent. Comment ai-je pu confondre un état de fatigue normal, somme toute, après l'effort, avec ce besoin de dormir éperdu, terrifiant, omniprésent...
Car il restait, en plus, les moments d'angoisse à gérer. Et là, évidemment, je devais prendre des doses plus fortes, ou les vraies doses, celles que j'aurais prises si je n'avais pas avalé ce médicament comme pilule d'entretien. Maintenant, je suis face à mes sources d'angoisse (et je suis d'ailleurs beaucoup moins angoissée) et je les regarde d'égale à égale. J'en ai supprimé quelques-unes, aussi. Quoiqu'il arrive, elles ne m'auront pas, ne m'auront plus. Bien qu'il faille compter -malgré tout- avec l'imprévisible.
Je vis en duo avec la maladie, ou du moins, je considère que maintenant, ma tâche est de guérir. Ou disons, de me soigner. Simplement. Mais se soigner et guérir, ce n'est pas simple du tout. Il faudrait déjà pouvoir arrêter le cerveau. Impossible d'arrêter mon cerveau. Pourtant, et c'est bon signe, je me surprends, par moments, à goûter davantage l'instant présent. Je ris, parfois, à des choses ou des phrases amusantes, sans arrière-pensée. Je regarde mieux autour de moi. Je lis avec plus de facilité aussi. J'arrive -enfin- à me concentrer.
Ce n'est pas la première fois que je me laisse déborder par les médicaments. Et ce n'est pas la première fois que je pratique un sevrage. En 1979, j'ai mis trois semaines à me débarrasser des somnifères. (Et le facteur déclenchant, était le même: des complications sentimentales - mais ce n'est jamais que le facteur déclenchant... Ou un facteur favorisant. Cependant, ce n'est pas la cause de la maladie !)
Comme je passais mes vacances à la Côte d'Azur, c'était facile... Je sortais la nuit - pas besoin de dormir - je dansais jusqu'aux petites heures, je dormais quoi ? Cinq heures, six heures ? Et puis je petit-déjeûnais et je partais à la plage. Et je nageais. Trois semaines de soleil, de mer, de vie simple. Sans doute n'est-ce pas un hasard si j'ai filé vers le sud, le 28 août. Direction, le vent et le soleil. Il n'y a qu'au soleil que je me sente bien. Je râle contre la chaleur, mais j'ai besoin de cette température et de la lumière.
Surtout de la lumière.
La salle à manger. De Pierre BONNARD,
un de mes peintres préférés.