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Mes carnets
25 mars 2006

Le Soir du Seder

"Ils sont entrés, se sont assis bruyamment..."

Pourtant, ils étaient fatigués. La route avait été longue.

Leurs pieds usés tout au long des durs chemins, les yeux fibrillés, brûlés
de soleil, les oreilles bourdonnantes, le ventre crispé autour de sa faim,
bien que la parole leur eût fait oublier, pendant ces longues journées et
ces soirées sous la galaxie turquoise et or de la Palestine, la pauvreté,
juste pour une promesse, embrassée.

Tout avait commencé un vendredi, à l'office de Shabbat. Comme tout notable
adulte du village, on l'avait appelé pour lire les lignes du texte sacré. Le
rouleau de la Torah, les touches sombres de la langue hébraïque. Le
Pentateuque.
Le manuscrit.
Et il avait lu, il avait parlé, commenté, disserté, s'était emporté. Il
avait tout emporté sur son passage.
"Ecoute, ô Israël."
Un à un, ils l'avaient suivi.
Pourtant, tout le monde disait qu'il était fou. Sa mère, affolée, criait "Il
délire! Il va se faire tuer..."
Ses frères et soeurs le regardaient, incrédules, sans comprendre.

Quand il eut rencontré Jochanan, ce fut pire. Après le bain rituel, dans la
traîtresse rivière, il décida de partir. Sa réputation s'enflait,
grandissait, le précédait, hyperbolique, presque démentielle. Les uns
disaient que c'était le Messie -tant attendu- les autres se méfiaient de ce
rabbin, qui se permettait de disputer leur savoir aux prêtres et enseignait
le Livre aux pauvres - en araméen, et aux riches, en hébreu.

Les miracles, paraît-il, ne se comptaient plus, l'eau en vin, le paralytique
qui marche, le pain et le poisson multipliés (par 2, 4, 6, 8, 9 - de plus en
plus difficile à compter), le boîteux qui boîte -mais non, pardon, qui ne
boîte plus, l'aveugle qui voit, le sourd qui entend, le muet qui parle, le
contrôleur des finances qui, du haut de son olivier, lâche tous les ordres
de saisie qu'il a si méticuleusement comptabilisés...
Sans compter le mort qui ressuscite, sortant, hâve et pâle, de son tombeau,
mais bien allant,
empêtré dans son linceul déjà rongé de vermine.

Ce soir, ils sont encore sous le choc de l'avoir vu se pencher vers chacun
d'eux, un à un, de l'avoir senti tenir leurs pieds entre ses mains, pieds
calleux, poussiéreux, crevassés, qu'il a baignés et savonnés longuement au
pain d'Alep, cette merveilleuse sensation glissante, parfumée à l'huile
d'olive et de laurier...

Et les voilà assis, réunis autour du repas de Seder.

Le Seder ouvre les festivités de Pessah.
Le temps de la commémoration.
C'est le deuil et la peur, le souvenir des morts qu'on laissera, à tout
jamais, sur cette terre d'Afrique, et celui des larmes amères, et pourtant,
c'est aussi l'ultime repas avant le retour vers la Terre d'origine.

Et voilà treize bols pour la tevila, pour le mélange d'eau et de vinaigre ou
de jus de citron,
Le Maror, ou les herbes amères, aussi amères que le temps de l'esclavage,
Le Harosset, mélange de fruits secs ou de purée de fruits, lié avec du vin
et des épices, broyé et rebroyé, semblable au mortier des pyramides,
L'aile de volaille grillée, l'os ou l'épaule, ou le jarret de veau ou
d'agneau,
treize oeufs durs
Et enfin, le Karpass, branches de persil, racines, végétaux de toute
sorte...

(Pour Paroles Plurielles, le 25 mars 2006).

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