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Mes carnets
3 décembre 2005

"Ils font l'amour"

"Elle a franchi la porte.

Ils parlent. C'est le moment de trouble, de gêne.
Leurs regards se recherchent, s'accrochent, s'évitent.
Se reviennent.

Christine est nerveuse. Elle a chaud, ses mains tremblent.
Elle cherche à cacher ses mains.
Qu'il ne le voie pas, surtout.
Il n'y a rien de plus affreux que des mains qui tremblent.
Pourquoi?
Parce qu'on va faire l'amour?
Mais elle ne va peut-être pas faire l'amour?
Elle l'espère encore vaguement.
De ne pas faire l'amour évidemment.

Parce qu'avec lui, un inconnu, qu'est-ce qu'il faut faire?
Avec préservatif? Sans préservatif?
Idiote qu'elle est de penser à cela.
Il ne va pas lui sauter dessus, comme ça, au débotté.
D'ailleurs, il a les mains pleines de peinture, et son tablier tout taché.
Et la poudre le colore jusqu'à sa chevelure.

Mais des clous! Il s'en fout.

Il arrête ses discours, les platitudes que l'on s'échange.
Il la prend dans ses bras, comme ça, avec ses mains sales, la couleur, le tablier, le jean, les pantoufles, ou les sandales, elle ne sait pas, et il l'embrasse.
Un entonnoir se creuse jusqu'à ses reins. Tout se liquéfie en elle.
Tonnerre!
C'est le désir. elle l'avait oublié, celui-là.
Comme il vous inonde, image de marée, gonflement des chairs internes, elle les imagine, roses, rouges,  striées,violacées, mouvantes, gorgées de sang.
Elle se crispe, ses muscles serrés sur cette chair élastique et molle, chuintante, soudain sortie de sa torpeur.

Elle voudrait retarder, empêcher, cette pénétration qui se projette devant ses yeux.

Pendant qu'elle pense, vertigineusement, à son corps, son corps presqu'oublié, ses mains ont esquissé des pas de menuet, une bourrée, tant de chaconnes, toutes les danses du temps présent et du passé, sur son torse à lui.
Elle tape à la machine.
Elle joue du piano, ses orteils se recroquevillent dans ses chaussures, elle l'embrasse, à pleines lèvres, ils voudraient s'avaler, se dévorer, disparaître l'un en l'autre.
Elle se sent serrée, comme ligotée dans ses vêtements.
Pourtant, il ne fait pas mine de l'emmener ailleurs que dans ce couloir glacial.

Et puis, elle se retrouve, elle ne sait comment, sur un canapé. Alors, là, le fou-rire la prend.
Le canapé est trop petit! Leurs jambes dépassent de tous côtés, 1m80, 1m75...
Pas possible. Il ne va quand même pas lui faire l'amour, là ? Assis ou debout, mal installés sur le tissu usé.
Mais si, ils continuent de s'embrasser.
Et là, Christine qui ne voulait pas,
C'est bien Christine qui prend l'initiative.
Elle ôte joyeusement, pantalon, pull, chemisier, sous-vêtements; envoie baldinguer chaussures et bas, tandis qu'il la suit, laborieusement, essuyant ses mains au tablier - au passage, pourquoi pas?

Elle n'ose pas trop le regarder. Quel moment! Quand l'homme nu entre dans votre vie. Elle redoute ce moment. Mais ça va. Il est bien proportionné. La peau n'est pas trop grise, mais son regard à elle n'ose pas encore s'aventurer sur le sexe, le pénis, le phallus, le champignon des bois, son fantasme, l'homme, dans toute son horreur, son désarroi et sa munificence.

Alors, c'est plus facile de s'embrasser, même quand le ventre crie. Christine se débat, et puis, elle oublie tout. Ils s'envolent, s'ébrouent, retrouvent le mouvement de va-et-vient, vieux comme le monde, l'accord des peaux, des ventres, des chaleurs, du feu, du brasier, autant foncer, elle n'attend pas, l'attire à elle, le serre contre elle, le prend, dirige son sexe vers le sien, il entre, facile, c'est comme du beurre, de l'huile d'olive, de romarin, de pépins de raisin, cela sent l'arbre, et pour une fois ni la crevette ni le poisson. Même pas la marée. Sauf celle de Boulogne et des Caps, inoubliable.
Ca sent l'amour, le feu, le sexe.
La chambre secrète.
La pyramide.
L'odeur emplit la pièce, elle rit, il la pénètre, jusqu'au fond, elle halète, elle est heureuse, c'est gai, c'est merveilleux, c'est l'amour, elle est terrible, elle le sait, c'est pour cela qu'elle préfère ne jamais faire l'amour, la honte, sa honte... Quand elle crie.

Elle aime ça, l'amour, la sexualité, comme un torrent, le Niagara, les plus hautes montagnes, les océans en furie. Et ça l'effraie. Oui, elle rit, elle crie. Ils ont à peine eu le temps de respirer. Et c'est déjà fini, il se libère, et elle n'a pas joui, seulement éclaté de rire, dans cette renaissance.
Et Christine avoue, devant son étonnement...

"Oui, je suis bruyante dans l'amour, tu sais.................."

C'est seulement maintenant qu'il prendra le temps de la caresser, de l'explorer attentivement, des mains, des doigts, chaque repli du corps, chaque légère protubérance, des montagnes, des collines, et de simples rues en pente. Et c'est là qu'elle peine, même si elle brûle de désir, c'est là que le poids des années se fait sentir, le plaisir est lent à monter, lent à se manifester, lent à se faire sentir, lent à se caractériser,
sensation de démangeaison? De mille aiguilles de pin qui vous réveillent?
Sensation indescriptible.
On ne peut pas parler de ça.
Impossible.

Si ce n'est qu'en un seul point du corps, où se concentrent tant de frémissements nerveux.
Il s'obstine, aisé, élégant, silencieux, il sait les points sensibles, le bout des seins, les cuisses, le ventre, tout parcourir, tout explorer, ne rien laisser au hasard... Elle halète, des minutes et des minutes, aussi longuement  et ondulemment que possible. Elle ferme les yeux, se laisse aller. Elle a chaud, froid, mal aux muscles. Demain elle aura des courbatures. Tant pis. Tant mieux. Autant les courbatures de l'amour que la raideur musculaire du temps et les crispations dans les épaules.

Elle n'a pas joui aujourd'hui, pas encore, mais durant ce quart d'heure, cette demi-heure, ces trois-quarts d'heure, qui s'étirent, s'allongent, lui accroupi, près d'elle, elle couchée, dans le canapé, un coussin sous la nuque, elle a ressenti son corps, le plus profond de son ventre, comme elle ne l'avait jamais ressenti.

Et c'est bon. Oui, c'est si bon. C'est l'épuisement. C'est le bonheur.

Carpe diem."

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