De l'amitié
J'ai toujours beaucoup aimé le chapitre que Montaigne consacre à l'amitié. (Il n'y a pas si longtemps, j'ai lu aussi celui sur les Indiens ramenés en France et sur les "truchements" emmenés au Brésil, pour parlementer avec des tribus indiennes. Jean-Christophe Rufin rapporte cet épisode dans "Rouge Brésil" - outre que cela sert de base à son roman). J'avais 16 ou 17 ans quand j'ai découvert ses phrases les plus célèbres sur l'amitié dans le Lagarde & Michard du XVIème siècle. Je ne sais même plus si j'étais en 3ème ou en Poésie. En Poésie sans doute - en 3ème, nous n'avions que le L&M du Moyen Age.
J'aimais tellement cette phrase-ci que je l'ai recopiée en exergue à un recueil de poèmes que j'ai consacré aux mythes antiques, aux dieux et déesses de la Grèce Antique (et qui reste un de mes préférés... Parce qu'il s'agit d'un groupe d'amis que j'ai perdus de vue - ou qui ne sont plus là et ce fut une manière de les "portraiturer").
"Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que l'un à l'autre."
C'est encore bien un genre de phrase que j'apprendrais par coeur, comme ça, pour le plaisir de l'entendre couler entre mes lèvres. Comme l'incipit du "Capitaine Fracasse", de Théophile Gautier.
Mais aujourd'hui, c'est un autre passage que je recherche. Et que j'ai recopié dans un cahier, commencé à Berkendael, en 81. J'avais envie de le recopier aussi ici. Il y a des passages que j'ai tellement aimés que je les ai parfois dactylographiés, fait stenciler, et donnés en dictée à des élèves. C'était une manière de leur donner un peu de littérature française. Ainsi, d'un passage au début de "Beau-Masque", de Roger Vailland, un auteur que j'ai beaucoup, beaucoup apprécié -bien que son côté macho m'ait un tantinet, non pas agacée, pas vraiment, mais parfois dérangée). Et puis, je suis allée à St Michel de Montaigne. En 75, lors de vacances passées aux alentours de Cognac. J'avais eu envie de pousser jusque là et j'ai demandé à mes parents d'y faire une excursion.
Et puis, je trouve que ce texte est beau. Tout simplement.
"Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel, qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes.
Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant: "Parce que c'était lui; parce que c'était moi."
Michel de Montaigne,
Essais,
Chapitre XXVIII De l'Amitié.
Gallimard.